Entre l’autisme profond (absence totale de communication, souvent caractérisé par des mouvements répétitifs du corps, et parfois de l’auto-mutilation, des cris) et le syndrome d’Asperger (autistes géniaux – il se murmure désormais qu’Einstein en était atteint), il existe une très large palette de handicaps liés à l’autisme.
Le symptôme majeur est bien cette difficulté à communiquer et à être en prise avec la réalité et les enjeux d’une situation, et le développement de comportements obsessionnels destinés en fait à rassurer la personne autiste. Le tout à des degrés divers ; certains autistes passent inaperçus dans des situations quotidiennes banales car ils s’expriment bien, sont capables de mener (et non subir) une conversation – je suis sûre d’avoir eu quelques (très peu, quand même) élèves non détectés en 16 ans de carrière. D’autres n’ont pas développé le langage parlé, ce qui ne les empêche pas d’être autonomes dans une bonne partie des tâches quotidiennes, de faire de l’humour ou tout du moins de rire. D’autres encore s’expriment, mais ne savent pas s’habiller seuls ou ne supportent pas de sortir de chez eux.
Ma sœur Alexandra est « assimilée autiste » et vit depuis plusieurs années dans un foyer pour autistes. Elle parle très peu (la structure sujet-verbe-complément n’est pas acquise, et il est extrêmement rare que nous l’entendions dire « JE »), trimballe deux ou trois sacs à dos emplis de cahiers et de feutres, a récemment développé des obsessions particulièrement dures à gérer pour mes parents (vider des bouteilles d’eau ou des pots de café à peine entamés, acheter des cahiers par 10 ou 20, acheter des montres au marché tous les quinze jours, déchirer un vêtement qui ne lui plaît pas tel jour, jeter à la poubelle des chaussures en très bon état parce qu’elle vient d’avoir une paire de baskets neuves …), et elle peut se montrer très violente. Mais elle est autonome pour faire sa toilette et s’habiller (à surveiller discrètement néanmoins), manger, utiliser des appareils tels que la télé, le micro-ondes, la chaîne hi-fi ; aider mes parents (ou les éducateurs du foyer où elle vit) dans les tâches quotidiennes (lessive, vaisselle, lingerie …). Dans ses meilleurs moments, elle est malicieuse et pleine d’initiatives, tactile et câline, « bavarde », pleine d’humour et attentive à ce qui se passe autour d’elle. Surtout, Alexandra mémorise le moindre morceau de musique qui passe à portée de ses oreilles, possède une collection effarante de CD et a déjà épuisé des dizaines de radio-cassettes portables.
Plus jeune, j’avais développé une « théorie » à laquelle je tiens encore : je me disais que les autistes avaient, dès leur venue au monde, une compréhension, ou plutôt une appréhension (au sens de « saisir ») TOTALE du monde : passé, présent, futur, ici, là-bas, ailleurs, hommes, femmes, animaux, pierres, arbres, air, feu, le corps, l’esprit, les sons, les couleurs, les odeurs … et que d’une certaine manière, ils savaient d’emblée le chaotique équilibre du Tout, l’inanité de ce Rien.
Insupportable!
Souffrance stridente pour certains, qui ne parviennent à s’en protéger qu’en hurlant ou remuant sans cesse. Obsessions géniales pour ceux qui, allez savoir pourquoi, sont en mesure d’explorer les mathématiques, la peinture, la mémoire … bien au-delà de ce que le commun d’entre nous est capable de visualiser.
Bon, c’est mon idée … Un genre de bulle transparente à la fois protectrice et étouffante.
Mon père m’a transmis des textes écrits par des autistes sans retard mental. Je voulais partager celui-ci avec vous.
La lune, paf!
Le tonnerre qui gronde
Les éclairs qui claquent
Avec les étoiles
Ça vole, paf!
Le balai, le ménage, la femme de ménage
La boîte aux lettres, la poste, paf!
Une fenêtre, paf!
Pas deux
Une télé, paf!
Pas deux
Une vitre, paf!
Pas plus
in Pratiques en Santé Mentale, 2009, n°3 (une revue de la Fédération d’Aide à la Santé Mentale, FASM)
Je publierai bientôt les écrits d’un(e) autre autiste, qui joue délicieusement avec les mots et leurs définitions.
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21 mars 2010