Juste envie de vous parler, un peu, de Mamie Fraise
Quand on allait en vacances chez elle, je dormais avec elle, avec ses petits ronflements, dans la chambre qui donnait sur l’église et dont j’aimais entendre les cloches sonner. Mamie s’occupait d’ouvrir l’église, de la fleurir, de la balayer et de la fermer. Des fois, j’avais peur, du noir, de la mort, je suppose, mais elle me rassurait et je m’endormais en tenant sa main.
On entrait chez elle par un long couloir qui menait surtout et directement à la cuisine, la pièce de vie. Elle y fabriquait ses confitures, ses crèmes, ses soupes. On y lisait sur le rebord de la fenêtre. On allait chercher des mirabelles. Et quand on faisait une bêtise, on se faisait réprimander genre : « Si tu continues cheu fais te prifer te tessert! », et dans le pire des cas, je prenais un coup de torchon sur la tête.
Je ne me souviens pas avoir été vraiment punie. Elle n’a jamais porté la main sur nous. Je n’ai aucun souvenir d’avoir eu peur d’elle, ni qu’il y ait eu le moindre conflit, ni une seule minute passée au piquet. Je me souviens demander vite et sincèrement « pardon », il n’était pas question que Mamie soit fâchée après moi, ah ça, non!
C’est qu’elle était emplie d’amour et de générosité, elle était attentive, pleine de bon sens, et nous offrait surtout à voir et faire des petites choses de tous les jours … c’était passionnant, et nous n’avions guère de raisons de faire des caprices ou d’être désagréables. Après, bien sûr, on bougeait, comme tous les gamins … mais quand l’autre grand-mère nous filait une beigne parce qu’on s’agitait à table, quand une arrière-grand-mère passait le plus clair de son temps à se plaindre, Mamie Fraise s’intéressait à nous, nous faisait participer à tout en nous expliquant pleins de choses, avec des câlins en prime…
Et puis ce potager, immense, où poussaient beaucoup de haricots verts, des choux et des salades, des glaïeuls et des patates, des cassis et des framboises, et puis aussi quelques fraises…
Les albums Spirou … les crèmes dessert … la toilette dans une petite baignoire sabot et l’eau chaude versée du broc … le gros tas de bûches devant la maison, où on se construisait un terrier … quelques journées passées à l’école du village, où je partais, toute fière, avec mon « goûter » emballé dans un torchon … mes premiers contacts avec la terre, avec ce qui pousse, croît et nourrit
Et une formidable présence qui ne m’a pas quittée, même depuis sa disparition en 1979, toute en amour et bienveillance, toute en simplicité et bon sens.
Sauf que je suis compliquée et pas toujours cohérente … C’est qu’elle est partie trop tôt, ma « meilleure mamie » … beaucoup trop tôt
N’empêche, voyez combien la force d’un amour sincère, évident, bienveillant, naturel – alors qu’elle avait elle-même tant souffert – peut « survivre » à trente ans d’absence

J’ai su, plus tard, qu’elle ne parla français que vers l’âge de vingt ans. Qu’un compère Alsacien lui conta fleurette à Paris mais refusa l’idée qu’elle était enceinte de lui. Qu’elle revint au « pays » avec le terrible statut de « fille-mère » et qu’on lui en tint longtemps rigueur. Qu’il ne revint vers elle que 10 ans plus tard, l’emmena avec sa fille au Maroc où elle ne s’adapta jamais vraiment au climat mais mit quand même au monde un petit garçon (mon père). Que … ce fut bizarre d’apprendre ces choses … dans ma sensibilité d’enfant (que l’on peut qualifier de (sur)naturelle chez tous les enfants – ils SAVENT, les enfants), je n’ai pas perçu une douleur … mais surtout (au risque de me répéter) une bienveillance …
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11 avril 2010
(précédemment publié le 22 octobre 2008)