publié pour Écriture Ludique,
*
Une route qui sillonne au milieu de la nature, le soleil qui profite d’une trouée pour dispenser une lumière irréelle… et un virage. A votre avis, que découvrira le curieux au détour de celui-ci ? Cette question, vous aurez l’opportunité d’y répondre ou non (à votre convenance) dans cet exercice, en vous inspirant de l’image, du titre (Virage)… et pour le reste, en totale liberté
*
*
Il marche la tête baissée en regardant les cailloux, les mottes de terre, les fleurs, les fougères sur le bas côté.
Un caillou tout noir, voilà des milliers d’heures, lui a rappelé une femme, elle aimait ramasser les coquillages noirs, rares, pour faire rêver, disait-elle, les rêveurs.
Il marche depuis le matin, ça fait déjà loin. Loin déjà la vache qui lui a offert son pré et un réveil très animé.
Chaque fougère lui parle mystérieusement d’un avant, mais il n’entend pas ce souvenir caressant, il ne peut plus trébucher dans le temps.
Il marche plutôt vite, voilà des mois qu’il marche, sans défaillir, sans chavirer, un défi, il scande sa vie.
Un arbre que la foudre a noirci ? Le voilà aux Etats-Unis, au milieu de nulle part, bleu, ocre vivace, fleurs de désespoir, désespérantes de vie, de grâce.
Il marche arrimé à son sac de toile, sa voile, sur l’océan de bitume. Il chemine dans ce noir, dans ce gris, ce ruban infini.
Ses chaussures fatiguées passent l’une devant l’autre sous ses yeux hypnotisés. Ses premiers pas furent à onze mois, depuis ils n’ont jamais cessé, propulsant son âme, sa propre foi.
Il marche sans regarder les panneaux qu’il croise, dépasse et oublie. Il cherche et il ne veut que sa propre géographie.
Les lignes blanches sont une horloge, elles balisent le chemin qu’il se forge.
Il marche, il attend une pause dans le temps, une pluie, un peu de vent. Et bientôt la nuit.
Là, sur sa droite, il devine d’anciennes traces de pneu, des entailles sur l’écorce d’un vieux chêne. Non, il baisse les yeux, parce que, cette femme, vous savez…
Il marche, et puis il voit. Ses chaussures sont orangées, le bitume est doré, le bas côté lance les pulsations d’un feu de cheminée.
Il lève les yeux.
Ce n’est que le soleil qui s’en va éclairer d’autres mondes, et qui joue sur le dernier virage d’aujourd’hui, une dernière ronde, un cadeau sur un rivage.
Il baisse les yeux. Des virages il en a pris, sur ses pieds, sur deux roues … dans une voiture … il ne se fera plus piéger par les promesses d’une ligne douce.
Aussi enflammée soit-elle.
Aussi attirante soit-elle.
Pourtant … la lumière est si douce…
Il marche la tête baissée en regardant les cailloux pépites, les mottes de terre trésor, les fleurs baignées d’or, et ces fougères. Obsédantes. Apaisantes par leur verte fraîcheur.
– « Oh ! Hé ! Claude ! T’es revenu, mon gars ! Ben … ça!»
Le temps se suspend.
Il inspire, profondément.
Il a longtemps marché.
Il a tout oublié.
Le tressaillement d’un désir.
Maintenant, se souvenir.
Il lève les yeux, la tête, une main.
Il sourit.
16 juin 2008
*
*
17 juin 2008