virage

publié pour Écriture Ludique,

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Une route qui sillonne au milieu de la nature, le soleil qui profite d’une trouée pour dispenser une lumière irréelle… et un virage. A votre avis, que découvrira le curieux au détour de celui-ci ? Cette question, vous aurez l’opportunité d’y répondre ou non (à votre convenance) dans cet exercice, en vous inspirant de l’image, du titre (Virage)… et pour le reste, en totale liberté :-)

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Il marche la tête baissée en regardant les cailloux, les mottes de terre, les fleurs, les fougères sur le bas côté.

Un caillou tout noir, voilà des milliers d’heures, lui a rappelé une femme, elle aimait ramasser les coquillages noirs, rares, pour faire rêver, disait-elle, les rêveurs.

Il marche depuis le matin, ça fait déjà loin. Loin déjà la vache qui lui a offert son pré et un réveil très animé.

Chaque fougère lui parle mystérieusement d’un avant, mais il n’entend pas ce souvenir caressant, il ne peut plus trébucher dans le temps.

Il marche plutôt vite, voilà des mois qu’il marche, sans défaillir, sans chavirer, un défi, il scande sa vie.

Un arbre que la foudre a noirci ? Le voilà aux Etats-Unis, au milieu de nulle part, bleu, ocre vivace, fleurs de désespoir, désespérantes de vie, de grâce.

Il marche arrimé à son sac de toile, sa voile, sur l’océan de bitume. Il chemine dans ce noir, dans ce gris, ce ruban infini.

Ses chaussures fatiguées passent l’une devant l’autre sous ses yeux hypnotisés. Ses premiers pas furent à onze mois, depuis ils n’ont jamais cessé, propulsant son âme, sa propre foi.

Il marche sans regarder les panneaux qu’il croise, dépasse et oublie. Il cherche et il ne veut que sa propre géographie.

Les lignes blanches sont une horloge, elles balisent le chemin qu’il se forge.

Il marche, il attend une pause dans le temps, une pluie, un peu de vent. Et bientôt la nuit.

Là, sur sa droite, il devine d’anciennes traces de pneu, des entailles sur l’écorce d’un vieux chêne. Non, il baisse les yeux, parce que, cette femme, vous savez…

Il marche, et puis il voit. Ses chaussures sont orangées, le bitume est doré, le bas côté lance les pulsations d’un feu de cheminée.

Il lève les yeux.

Ce n’est que le soleil qui s’en va éclairer d’autres mondes, et qui joue sur le dernier virage d’aujourd’hui, une dernière ronde, un cadeau sur un rivage.

Il baisse les yeux. Des virages il en a pris, sur ses pieds, sur deux roues … dans une voiture … il ne se fera plus piéger par les promesses d’une ligne douce.

Aussi enflammée soit-elle.

Aussi attirante soit-elle.
Pourtant … la lumière est si douce…

Il marche la tête baissée en regardant les cailloux pépites, les mottes de terre trésor, les fleurs baignées d’or, et ces fougères. Obsédantes. Apaisantes par leur verte fraîcheur.

–         « Oh ! Hé ! Claude ! T’es revenu, mon gars ! Ben … ça!»

Le temps se suspend.

Il inspire, profondément.

Il a longtemps marché.

Il a tout oublié.

Le tressaillement d’un désir.

Maintenant, se souvenir.

Il lève les yeux, la tête, une main.
Il sourit.

16 juin 2008

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17 juin 2008

 

mamie vitriol

un polaroid beaucoup plus saignant cette fois-ci, parce qu’on n’a pas que des ami(e)s ou des gens bien sur terre

une idée m’est venue … si parmi vous se trouvent des artistes, des crayonneurs, des croqueurs… je serais TRÈS curieuse de voir quelle tête aurait votre Mamie Vitriol à la lecture de son portrait.

Elle est déjà bien ridée, c’est sûr qu’elle a vécu, mais quand même …
Elle a eu toutes les maladies, elle n’a jamais été malade, elle a fréquenté des généraux, elle a sauté sur une mine en Indochine, enceinte elle mangeait un kilo de bananes par nuit (et elle a accouché au dixième mois, si si puisqu’elle le dit), ses cheveux ont blanchi en une nuit lorsqu’elle avait 25 ans, elle a sauvé des gens, rencontré d’autres « Gens, elle détenait des secrets « défense », …
Là, elle est entourée de cons et de bons à rien, et elle a toujours raison parce qu’elle est plus vieille qu’eux. Une bombe atomique en Irak réglerait le problème, l’écologie, le réchauffement de la planète, foutaises ! Les SDF sont des fainéants, les malades du SIDA le sont par leur faute, ils n’ont qu’à être normaux, elle a eu un très bon ami homo, un vrai délice. Elle a toujours fait la tête quand un cadeau de Noël ne lui plaisait pas, et vous ramène des cuillères souvenir en métal tout mou de ses grands voyages. Arrêter de fumer au bout de 40 ans ? Pff, trop facile ! Bien sûr, elle n’est pas raciste, mais ça, là, c’est du travail d’Arabe, non ? Elle a la main verte, assure-t-elle, et parsème sa maison de fleurs en plastique.
Elle avait un potager, mais ses petits-enfants ramassaient les mégots pour 10 centimes pièce. Les gâteaux et les confitures, ça fait grossir ! Elle tricote pour les œuvres de charité et emmène sa petite-fille dans un magasin pour la traiter de « putain » quand celle-ci choisit un débardeur à la mode. Les chiens l’adorent, c’est à ça qu’ils servent, s’ils ne le montrent pas, ce sont des bâtards. Elle fumait chez les gens sans demander leur avis, maintenant c’est interdit chez elle, pardi. Elle est catholique, pratiquante il paraît. Elle s’habille très classe, pleins de bijoux façon Castafiore. Pour ELLE, tous les commerçants font une ristourne.

Si, je vous assure, ÇA existe.. ÇA transmet son expérience à coups de baffes et de reproches, de critiques et d’insultes.
Mais quelle enfant fut-elle ?

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15 juin 2008