Parmi toutes mes lectures – peu nombreuses – ces 2 dernières années, trois m’ont profondément marquée :
– La Route, de Cormac MacCarthy (roman dont j’ai parlé là)
– Into the Wild, de Jon Krakauer (récit de l’histoire vraie de Chris McCandless, des explications ici)
– Hors-système, de Okwari, Shahi-Yena et Xavier Fortin (lu en une journée le weekend dernier, un article ici et ici)
Trois livres au masculin traitant de ce que j’aurais envie d’appeler « l’itinerrance ».
Itinéraire et errance, pour dire à la fois que chacun des personnages, réels ou fictifs, sait ce qui le meut (l’instinct de (sur)vie) et ce qu’il ne veut pas, mais sans connaître pourtant les détails de son itinéraire, les repères tant intérieurs que géographiques. Ce qui les fait voyager (qui à pied, qui en voiture, train …) n’est pas un objectif à atteindre, mais bien quelque chose à fuir.
La mort … au fond.
Dans le roman « La route« , sur fond d’hiver nucléaire et de restes de sociétés humaines retournées à la barbarie, voire au cannibalisme, le père accompagné de son fils marche sans cesse vers un Sud hypothétiquement plus clair et plus chaud, plus clément. Il s’agit en tout cas de ne pas se laisser mourir sans rien faire.
Dans « Into the Wild« , le journaliste retrace l’itinéraire et les rencontres d’un jeune étudiant américain promis à un bel avenir – comme on dit – … dont il ne veut pas. Il fuit le matérialisme, la société de consommation, et ses parents, la mort lente et sûre de l’esprit, de l’âme au milieu de gens davantage concernés par les dernières technologies, les programmes télé, la réalisation d’un rêve américain déjà bien détourné de son sens originel. Il veut se débrouiller seul et se barre au volant d’une vieille guimbarde (qu’il perdra vite lors d’une inondation), un petit peu d’argent pour parer aux urgences et tout ce qu’il estime nécessaire à sa survie (5kg de riz et un fusil …). Au gré de ses pas et de ses rencontres, il apprendra à travailler le cuir, reconnaître les plantes comestibles, se fera un petit trip en canoë, offrira ses services dans une ferme puis se mettra en tête de s’installer seul dans un coin perdu de l’Alaska … où il trouvera la mort.
Dans « Hors-système« , Xavier Fortin raconte comment il décida de se mettre hors-la-loi en 1998, en prenant la fuite avec ses deux fils âgés de 6 et 7 ans plutôt que de les rendre à leur mère et à sa belle-famille. Face au désespoir de ses enfants à chaque retour chez leur mère, et aux interventions agressives, voire menaçantes, de la belle-famille, il estime qu’il ne peut que fuir. S’ensuivront onze années de cavale dans le Sud de la France, des Cévennes à l’Ariège, de campements sauvages en installations discrètes dans des mas abandonnés, de séjours chez les Manouches en planque chez des amis d’amis solidaires. Le réseau tissé durant les longues années précédant la cavale (néo-ruralité, ferme pédagogique itinérante …) ne faillira pas, et les garçons grandissent en apprenant tous les gestes pour faire pousser la nourriture et prendre soin des animaux, en élevant des oiseaux, des reptiles, des insectes; en aidant sur des chantiers de construction …. et j’en passe! Le père leur fait l’école le matin, au gré des besoins exprimés par l’un ou l’autre – et seulement une fois l’écriture, la lecture et le calcul correctement acquis.
Dans ce récit à trois voix se lit en filigrane le (mon) besoin grandissant de retrouver notre place dans l’univers et le monde, de comprendre et choyer notre lien à la Nature en toute humilité.
Outre le point commun de cette « itinerrance », ces trois récits évoquent chacun à leur manière la difficulté grandissante de l’Homme à se trouver, à (re)trouver une/sa place dans le monde et la société, à justifier son existence autrement que par le matérialisme consumériste extrême (« avoir » au lieu « d’être »), et, partant, à développer une spiritualité. Et dans ces histoires, il s’agit d’une spiritualité de la survie : nos besoins physiologiques fondamentaux, et la permanence des liens entre notre corps, notre être intérieur, la terre, l’air, Gaïa, le cosmos … toute aussi fondamentale.
Le sens chronologique de mes lectures m’a fait partir d’un récit extrême, où l’Homme est enfin parvenu à détruire son environnement et devient une bête pire que toutes les bêtes existantes. Vient ensuite le récit de celui qui a essayé, mais a échoué (une malheureuse confusion entre deux plantes). Puis celui d’un homme hors-système mais pas hors-réseau, qui réussira justement parce qu’il est sans cesse dans le contact – avec ses fils, ses amis, la terre …
Curieusement, je relève alors que juste avant de lire « La Route« , j’avais lu avec grand plaisir « Homo Disparitus » (une critique juste et rigolote ici), dans lequel le journaliste Alan Weisman, en partant du postulat que tous les êtres humains disparaîtraient du jour au lendemain, explore, à l’aide de climatologues, botanistes, architectes, géographes …, toutes les possibilités quant aux réactions de la Nature. On peut donc y lire que certaines espèces animales seraient condamnées à très courte échéance, tant l’Homme les a façonnées pour le servir (vaches laitières, par exemple ; animaux domestiques, excepté sans doute certains chiens errants …), que des régions entières seraient entièrement transformées (retour à la forêt primitive ici, désertification là, bouleversement de l’éco-système ailleurs …).
Curieusement encore, je relève que quelques autres lectures récentes trouvent elles aussi un écho dans ce cheminement d’abord inconscient. Je parle de plusieurs romans d’Isaac Asimov, la plupart se déroulant dans un avenir où les robots secondent l’humanité dans toutes ses tâches. Le récit le plus frappant, et le plus proche du thème qui m’intéresse, est dans « Face aux feux du soleil« , suite de « Les cavernes d’acier« . Tandis que les hommes se sont disséminés dans l’espace, les habitants de la Terre, eux, vivent dans de gigantesques mégapoles souterraines et ne sortent jamais à l’air libre (ce sont les robots qui effectuent les travaux des champs en plein air … et en plein soleil). Le héros, au cours de l’une de ses enquêtes, se voit obligé d’affronter l’air libre et les « feux du soleil », ce qui le rend d’abord affreusement malade et faible, tant il ne désire qu’une chose : être bien enfermé dans un petit appartement sombre, entouré de millions de voisins eux aussi enfermés dans de petits appartements sombres. Puis il goûte peu à peu la joie d’être dehors.
Dans cette société décrite par Asimov, plus rien n’a de véritable sens, et la population terrestre, globalement, déprime … A l’inverse, dans les mondes extérieurs, les humains ne se rencontrent plus physiquement que pour procréer, et ce avec le dégoût le plus extrême. Les robots pourvoyant à tout, les hommes et les femmes vivent seuls et très longtemps, chacun de son côté.
Du coup, pour finir mon parcours littéraire, je viens d’entamer « La Nature« , par Ralph Waldo Emerson.
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Nota : Courrier International du 12 mai 2010 (n°1019) consacre un dossier aux robots. Bé … on en apprend des choses … Des choses qui font un peu froid dans le dos. La recherche est déjà bien avancée, par exemple sur la mise au point d’une peau synthétique munie de capteurs permettant au robot de vraiment « toucher » son environnement, le comprendre et réagir correctement. Un robot-professeur a déjà été testé dans des classes. Les Japonais mettent le paquet, certes, mais les Européens et les Américains ne sont pas en reste … !
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28 mai 2010