je suis là

Trouvé chez Pandora il y a quelques jours, ce clip de Zazie.

Zazie, z’aime beaucoup, y’a pas à tortiller, ses mots me touchent, sa musique aussi, même si j’ai assez souvent l’impression qu’il y manque un tout petit quelque chose pour que ça m’éclate tout à fait (un peu comme avec les Simple Minds, d’ailleurs, une intro qui promet énormément, et puis … ça tourne un peu court)

Je n’ai pas acheté le dernier CD de Zazie, pour toutes sortes de raison.
Aïe, aïe, aïe, je crois que mal m’en a pris…

J’étais là, devant ma télé, quand on parlait du Rwanda, de Guantanamo, de la Serbie, de Tchernobyl … J’étais là quand un élève avait tout le temps mal au ventre, tout le temps …

Je suis là, devant ma télé, à regarder des trucs incroyables mais vrais …

Voilà, ça me serre la gorge, ça me donne la chair de poule, ça me monte les larmes aux yeux, et puis ça me fait une sacrée piqûre de rappel  –  parce que la musique, souvent, ça va plus vite aux tripes et à la cervelle que de longs discours

J’étais là tu vois, lui à côté de moi, on avait six ans
On jouait comme des enfants, au docteur, au docteur
J’étais là, je voyais sur son corps les plaies, les marques, les bleus
J’en croyais pas mes yeux, mes yeux
Et lui qui m’disait « j’suis un dur, tu vois les brûlures, là
Sur mes bras, j’les sens pas, j’les sens pas »
J’étais là, j’ai rien dit, et puis j’suis partie de chez lui
Si j’y suis retournée? Plus jamais, plus jamais.

J’étais là, comme lui, j’avais quinze ans à peine
On était dans la cave chez ses parents, je l’aimais tant
Faut dire qu’il était beau mais il s’piquait mon héros, à l’héro
J’étais là quand sa mère est venue me dire :
« C’est fini, on l’enterre Lundi, Lundi »

J’ai pleuré, bien sûr, j’ai pleuré
Puis j’ai recommencé à traîner dehors

J’étais là en Octobre 80 après la bombe Copernic
Oui, j’étais à la manif avec tous mes copains
J’étais là, c’est vrai qu’on n’y comprenait rien
Mais on trouvait ça bien, ça bien

Oui, j’étais là pour aider, pour le SIDA, les sans-papiers
J’ai chanté, chanté

Sûr que j’étais là pour faire la fête
Et j’ai levé mon verre à ceux qui n’ont plus rien
Encore un verre, on n’y peut rien
J’étais là devant ma télé à 20 heures
J’ai vu le monde s’agiter, s’agiter

J’étais là, je savais tout de la Somalie, du Bengladesh et du Rwanda
J’étais là, j’ai bien vu le sort que le Nord réserve au Sud
Bien compris le mépris, j’étais là pour compter les morts

J’étais là et je n’ai rien fait
Je n’ai rien fait



*

6 août 2008

anna (suite)

Je m’appelle Anna et désormais je suis seule. Je l’ai choisi. Enfin, je ne suis pas vraiment seule. Je ne me suis pas retirée du monde, mais je suis partie, ailleurs. Je suis seule de ma famille, seule de mes amis, seule de ma terre de naissance, ici et maintenant. J’ai quitté tout ce que je pouvais quitter, sauf mon nom, et ce que j’ai appris. C’est le plus difficile. Lorsque je suis arrivée ici, j’ai rencontré un homme grand, vieux et solide sur le chemin. La poussière collait à nos visages en sueur, cachait la couleur de notre peau, mais j’ai vu ses yeux noirs, ronds comme des billes de plomb. Je lui ai souri et il m’a demandé mon nom. Anna. J’ai senti le mot gonfler dans ma tête et presque aussitôt dans ma gorge. J’ai senti mon ventre se durcir et ma langue se nouer pour donner mon nom, et je l’ai dit. Mais ce fut comme donner mon âme à cet homme que je ne connaissais pas. Et j’ai eu peur. J’ai eu envie de pleurer, aussi.
J’attendais qu’il me dise son nom avant de reprendre ma route. Je ne voulais plus m’arrêter dans ce village. mais il m’a demandé « Qui es-tu?« . J’ai cherché des mots, vite, qui diraient, vite, que je n’en savais rien, que ce n’était pas important, que je ne voulais plus le savoir, que justement… « Moi je suis le facteur, Etienne, et j’ai des musiques douces dans la tête, des guitares, surtout, et du piano…« . Du piano. J’ai murmuré. Ses mots ont coulé dans ma gorge. J’ai eu très soif d’eau fraîche et il m’a tendu une gourde. J’ai bu mais tout mon corps avait soif. Ma peau, surtout. Alors il m’a indiqué le chemin de la rivière et je suis allée m’y baigner. C’était merveilleux, et j’aurais voulu m’y endormir. La nuit venait, frissonnante, et j’ai couru jusqu’au village. Je suis tombée, une fois, et l’écorchure au genou m’a presque fait rire de bonheur. J’ai ri encore un peu lorsque le visage, jeune, de ma mère, s’est formé devant moi. Elle souriait, elle disait que ce n’était rien, elle ferait un baiser et je n’aurais plus mal. Je souriais aussi. J’ai chassé l’image d’un geste, mais je n’ai pas pu empêcher ma bouche de dire son nom.

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6 août 2008