terriens : introduction

Avertissement : cet article est long et, par le thème abordé, lourd. Surtout, il n’est pas « achevé », c’est-à-dire qu’il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses de ma part, il est l’expression d’un cheminement en cours.
Il faut du temps pour lire, éventuellement regarder, puis réfléchir. Il n’appelle pas à des commentaires immédiats, mais puisqu’il est « cheminement », j’apprécierai grandement de pouvoir, peu à peu, discuter avec ceux qui le souhaiteront. Les échanges générés par l’article précédent m’ont permis d’avancer, d’aller fouiner ici et là. J’espère aussi qu’ils ne font pas que me faire avancer, môa … L’idée est toujours la même ici :partager     😉
Voici le film documentaire « Earthlings » portant sur le rapport de l’homme à l’animal. Je m’attache ici aux 10 premières minutes.
Je poste la vidéo, pour que ceux qui le souhaitent puissent regarder. Les images sont « tolérables » au début (course de taureaux, abattage de cochons au pistolet électrique, scènes de l’Holocauste).
Il y a aussi de très belles images.
Et pour ceux qui ne le souhaitent pas, voici le texte du commentaire. (avec, en couleur, les passages auxquels j’adhère profondément, soit qu’ils ont la force de l’évidence, ou portent une fulgurante intuition de ce que notre monde aurait pu / peut être.)

Les trois étapes de la vérité :
1- le ridicule
2- l’opposition violente
3- l’acceptation
terrien (nom) : habitant de la planète Terre
Puisque nous habitons tous sur Terre, nous sommes tous des Terriens. Ce terme ne contient aucune notion de sexisme, de racisme ou de « spécisme » (discrimination par l’espèce). Il nous regroupe tous: ceux à sang chaud ou froid, mammifères, vertébrés, invertébrés, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons et êtres humains. Les êtres humains ne sont donc pas seuls sur Terre. Ils partagent ce monde avec des millions d’autres créatures qui évoluent en même temps qu’eux. Cependant, les humains ont tendance à dominer la Terre et à traiter souvent les autres êtres vivants comme de simples objets. Voilà ce qu’on entend par le terme « spécisme ». Par analogie au sexisme ou au racisme, le spécisme est un préjugé, une opinion en faveur des membres de son espèce et au détriment des membres d’une autre espèce. Si un être souffre, il n’est pas moralement justifiable de refuser de prendre en compte cette souffrance. Quelle que soit la nature de cet être, le principe d’égalité implique que la souffrance d’un être est égale à la souffrance de tout autre être.
Les racistes violent le principe d’égalité en accordant plus d’importance aux intérêts des membres de leur race quand ces intérêts sont en conflit avec ceux d’une autre race.
Les sexistes violent le principe d’égalité en favorisant les intérêts de leur sexe.
De façon similaire, les spécistes favorisent leurs propres intérêts au détriment des autres espèces.
Dans chaque cas, tous obéissent à un schéma identique.
Entre êtres humains, nous reconnaissons le principe de respect, un être humain est une personne, pas une chose. Cela dit, il arrive souvent qu’un traitement moralement irrespectueux ait lieu lorsque ceux qui détiennent le pouvoir traitent les plus faibles comme de simples objets. Comme le violeur traite sa victime. Comme le pédophile traite un enfant. Comme le maître traite son esclave. Dans tous ces exemples, les humains qui ont un pouvoir exploitent ceux qui en sont dépourvus.
Ce concept pourrait-il s’appliquer à la façon dont les humains traitent les animaux et les autres terriens?
Sans nul doute, il existe des différences car les humains et les animaux sont dissemblables à bien des égards. Mais la question de la similitude se situe ailleurs. Certes, les animaux n’éprouvent pas les mêmes désirs que nous. Il est vrai qu’ils ne comprennent pas tout ce que nous comprenons.
Cependant, nous avons des besoins similaires, et nous comprenons certaines choses de la même façon : le besoin de manger et de boire, de s’abriter et de vivre en compagnie, d’être libre de ses mouvements et d’éviter la souffrance. Ces besoins sont partagés par tous.
Quant à la compréhension, les animaux, comme les hommes, comprennent le monde dans lequel ils vivent. Sinon, ils n’auraient pas survécu… Aussi, au-delà de toutes nos différences, nous sommes similaires. Comme nous, les animaux incarnent le mystère et le miracle de la conscience. Comme nous, ils ont conscience du monde dans lequel ils vivent. Comme nous, ils sont le centre psychologique d’une vie unique qui leur est propre. A ce niveau fondamental, nous sommes à égalité avec les porcs et les vaches, les poulets et les dindes.

Qu’attendent ces animaux de nous? Comment devons-nous les traiter? Pour répondre à ces questions, il faut reconnaître notre parenté psychologique avec eux.

Ce film démontre en 5 points comment les animaux ont servi l’humanité … au cas où nous aurions oublié.

Le Prix Nobel Isaac Bashavis Singer a écrit dans son roman : « Ennemis, une histoire d’amour » :

« Chaque fois qu’Herman assistait à l’abattage d’animaux et de poissons, il avait toujours la même pensée : dans leur comportement envers les autres créatures, tous les hommes étaient des nazis. L’arrogance avec laquelle l’homme traite les autres espèces comme bon lui semble représente les théories racistes les plus extrêmes, le principe selon lequel la raison du plus fort est la meilleure. »

Cette comparaison à l’Holocauste est intentionnelle et évidente. Un groupe d’êtres est tourmenté aux mains d’un autre.
Certains diront que la souffrance des animaux n’est pas comparable à celle des Juifs ou des esclaves, mais il existe une similitude. Pour les prisonniers et les victimes de ce massacre, cet holocauste-là est loin de toucher à sa fin.

Dans son livre « Une maison au bout du monde », Henry Beston écrit :

Il nous faut une attitude plus sage et peut-être plus mystique vis-à-vis des animaux. Éloigné de la Nature universelle et vivant dans la complexité, l’homme civilisé observe les animaux à travers la loupe de son savoir. […] Nous traitons avec condescendance leur état inachevé, le sort tragique qui les a conduits à naître inférieurs à nous. C’est là que nous faisons une erreur. Une grave erreur. On ne peut pas comparer les animaux aux hommes. Dans un monde plus vieux et plus achevé que le nôtre, ils se déplacent dans leur forme achevée. La nature leur a fait don d’un prolongement des sens que nous avons perdu ou jamais atteint. Ils entendent des voix que nous n’entendrons jamais. Ils ne sont ni nos frères, ni nos subalternes. Ils constituent d’autres mondes pris avec le nôtre dans le filet de la vie et du temps, prisonniers de la splendeur et des tourments de la Terre.

 

Avant toute chose, je tiens à donner mon avis sur le film lui-même en son entier ; ce n’est pas un documentaire, notamment parce que les chiffres souvent avancés ne sont pas « référencés » : d’où viennent-ils? Font-ils référence aux États-Unis seuls, ou au monde occidental, ou à la planète entière? Certains chiffres mériteraient d’être mis en perspective avec d’autres … D’autre part, on ne sait pas toujours où ça se passe, et absolument personne n’est interviewé pour être amené à donner son point de vue, qu’il aille dans le sens du film, ou non. C’eût été utile notamment pendant le chapitre sur l’expérimentation animale.

C’est un film militant, il est à prendre comme tel, avec un certain recul … bien que ce soit particulièrement difficile puisque l’émotionnel est mis – durement – à contribution la majeure partie du temps.

Je déplore donc l’absence de certaines infos et de points de vue divergents, je salue son existence car il nous faut souvent du CHOC pour nous faire réagir et réfléchir, et quand bien même on m’opposerait qu’on ne sait dans quelles proportions toutes ces pratiques barbares montrées dans le film se déroulent, le simple fait que cela existe, même dans un seul labo, un seul abattoir ou un seul refuge … me pose sérieusement problème.

Dans l’introduction, j’ai apprécié que l’on (ré)explique le spécisme, mais j’ai frémi au parallèle avec le nazisme. L’appel à un événement historiquement récent profondément ancré dans l’inconscient collectif pour « électriser » le spectateur ne me paraît pas honnête : d’une, les images qui vont suivre se suffisent à elles-mêmes, et de deux, sans vouloir contester le but culpabilisant d’un tel film (c’est nécessaire), je n’aime pas du tout qu’on sous-entende que toute personne qui ne répond pas à TOUS les critères de « bonne conduite » est, peu ou prou, un nazi. Le parallèle, le spectateur peut le faire tout seul dans sa tête s’il le souhaite, y réfléchir … Je crois que j’aurais préféré la citation de Tolstoï, beaucoup plus générale et néanmoins sans appel:

« Tant qu’il y aura des abattoirs, il y aura des guerres. »

Associée à la citation de Beston, elle permet l’enclenchement d’une réflexion plus globalisante sur nos comportements vis-à-vis du vivant, et notre propension à considérer notre environnement, vivant ou inerte, comme étant à notre entière disposition, « asservissable » à l’envi. Tôt ou tard, cette réflexion nous amène au nazisme … entre autres!

Je ne dirais pas que la souffrance animale est inférieure à celle des humains.

Elle est différente.

En plus de la douleur, l’homme est en mesure de « comprendre » ce qu’on lui fait subir, ce qui ajoute une souffrance mentale énorme.

L’animal souffre physiquement, sans comprendre ce qu’il lui arrive, la douleur mentale se manifestant par un stress sans commune mesure avec celui éprouvé dans les conditions naturelles (et souvent cruelles) de la vie sauvage.

Je me rends compte néanmoins que cette réflexion sur la souffrance des uns et des autres mérite d’être approfondie par des lectures, par exemple.

Mais à la vision du film, je n’ai pu m’empêcher de penser de nombreuses fois que dans LEUR inconscient collectif, nous finirions bien par devenir l’espèce à éviter, à manger, à tuer, à éradiquer

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28 mars 2009

 

terriens

Tout est parti d’une série d’articles chez Chris faisant état de la mort d’un petit Italien la semaine dernière, massacré par une bande de chiens non pas sauvages, mais abandonnés et longtemps entassés quelque part loin des yeux des citoyens dont les impôts ne doivent pas servir à leur entretien et / ou euthanasie. Ces chiens ont échappé au gars, sans doute payé une misère, pour les tenir à l’œil. Affamés, frustrés, peut-être maltraités, le drame est arrivé bien vite. Un bambino de 10 ans tombe sous leurs crocs.
Et depuis en Italie (Sicile), c’est la chasse ouverte aux chiens, dont les médias se repaissent, montrant les images de dizaines de canidés traqués, ligotés, à moitié morts … etc … livrés aux « autorités » qui vont s’occuper (enfin?) de leur sort.
Deux drames, au fond, qui soulèvent autant le coeur et mettent tout autant en colère l’un que l’autre.
La mort d’un enfant.
La traque bestiale, barbare de ces chiens abandonnés.

Il y a juste un point commun : la bêtise humaine à la source de ces deux événements.

– celle, dénoncée chaque été, de ceux qui acquièrent, parfois à prix d’or, un adorable petit toutou soit pour décorer l’appartement, la maison, le bras de Madame, soit pour faire plaisir au petit dernier, et vite abandonné quelques mois plus tard, là, sur la route, sur un chantier … parce que, nom de Dieu!! … C’est que ça fait caca et pipi, et puis ça mord, ça n’écoute pas toujours, et pi c’est gros tout à coup, et pi ça sème des poils partout, et ça mange!! Et ça peut pas rester enfermé sans rien faire plus de 12 heures, la vache …

– celle de ceux qui gardent leur chien, grande fierté … regardez comme il fait peur, mais comme il est super gentil, et comme je l’ai bien dressé. Et pi un jour, paf, le chien mord. Si c’est la main, il se prend une baffe, si c’est le pif il se prend la rouste de sa vie, et si c’est autre chose, c’est la cogne et / ou la piquouze. Celle de ceux qui voient le chien comme un joujou, oubliant (l’ayant jamais su?) que le chien est d’abord un loup, un animal sauvage dont nous ne connaissons pas le langage, ou si peu.

Une fois, Ursule m’a mordue à la main. J’ai immédiatement compris pourquoi : j’étais arrivée par derrière, il ne m’avait pas entendue, trop occupé à débusquer un crapaud (ledit crapaud que je comptais sauver des crocs d’Ursule, en fait). Quand je l’ai saisi, surpris, il s’est défendu de l’agresseur potentiellement dangereux que j’étais devenue. Je l’ai saisi par la peau du cou, comme font les mères avec leurs chiots, je l’ai secoué en disant « NON! » et en lui filant une claque sur le museau, et je l’ai jeté du potager. Parce que même si j’ai compris la raison, je ne peux le laisser avec le message qu’il peut, à l’occasion, me mordre.
Cela montre surtout qu’on ne fait pas n’importe quoi avec un chien (ou un chat, un furet, un rat …). Aux enfants de mes amis en visite, je dis simplement de ne jamais approcher du panier (« C’est sa maison, c’est là où il VEUT être tranquille »), de ne pas tirer les poils ou les oreilles, de ne pas le surprendre … Et jusque là, tout va bien, quand Ursule en a marre de joujouter avec les petits (il n’est pas fan des enfants, d’ailleurs), il va dans son panier. End of the discussion.

– celle de certains maîtres (souvent des hommes, mais j’ai connu des filles aussi, et d’ailleurs … moi?) qui se sentent émasculés à l’idée de castrer leur animal … Ce qui donne des centaines, des milliers de chats et de chiens errants, car qui a vraiment le courage de tuer des petits, là, dans la vraie vie?

– celle de quelques maîtres orgueilleux (petite zigounette, j’en suis sûre!) qui attisent le caractère assez sanguin de certaines races de chiens pour … pour quoi, d’ailleurs? Pour faire peur?

Là où vit Chris, ça a l’air particulièrement atroce, la manière dont les animaux sont traités. Chris milite avec des vétos et, je suppose, une association de protection, et part régulièrement à la recherche d’animaux signalés comme abandonnés, en détresse …(tu me corrigeras si je dis des bêtises, Chris, hein?) Elle héberge toute une série de miraculés, éclopés … Mais surtout, ce qu’elle a vu de ses yeux me paraît inimaginable : des jeunes napolitains se régalant de latter à mort un chiot, d’en balancer un autre contre un poteau, ou encore de presser la tête d’un dernier jusqu’à ce que gicle le sang … Drôle de passe-temps … Drôle de « culture » …

Alors voilà, de fil en aiguille entre ses articles et les commentaires suscités, je suis tombée sur un documentaire qui semble avoir fait grand bruit dans le monde des défenseurs de la cause animale, mais dont je n’avais jamais entendu parler.

« Earthlings »  (« Terriens »)

Un documentaire de Shaun Monson, dit par Joaquin Phoenix, qui relate 5 ans d’enquêtes et traite du rapport de l’homme à l’animal à travers cinq aspects : les animaux domestiques (voir ci-dessus, en gros), la nourriture (élevage, abattage …), la confection (mhhmhm, la fourrure chinoise clandestine …), le divertissement (cirques, zoos …) et l’expérimentation scientifique
Une bonne partie des images est insoutenable. j’ai beaucoup pleuré, j’ai eu terriblement la nausée (et pourtant, je suis assez coriace), quelques idées extrémistes m’ont traversé l’esprit.

Un choc.

L’impression de m’être faite bien tiédasse, le temps passant, sur des sujets qui pourtant me tiennent à cœur. L’impression que je savais ce que j’allais voir … et pourtant, je ne savais pas, je ne savais plus. L’imperfection de ce « savoir » est là, tout entier, dans cet imparfait : je SAVAIS. Et je ne le tolère pas.
Et pourtant, je n’adhère pas forcément à 100% à certaines formes employées par le réalisateur, à certains propos, à certains sous-entendus, ni à l’absence d’alternatives en fin de reportage (par exemple, si je veux devenir végétarienne, est-ce si simple? Et si je ne veux porter ni cuir, ni synthétique, que me reste-t-il? …)

Des questions, je m’en pose.

Et j’ai pas trop envie de me les poser toute seule.

Voici la bande-annonce (certaines images sont difficiles)

Et pour vous aider à cerner ce qui avant tout, m’a bouleversée, voici quelques mots extraits du documentaire, écrits par Henri Beston, dans « Une maison au bout du monde » (1925)
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Il nous faut une attitude plus sage et peut-être plus mystique vis-à-vis des animaux. Eloigné de la Nature universelle et vivant dans la complexité, l’homme civilisé observe les animaux à travers la loupe de son savoir. […] Nous traitons avec condescendance leur état inachevé, le sort tragique qui les a conduits à naître inférieurs à nous. C’est là que nous faisons une erreur. Une grave erreur. On ne peut pas comparer les animaux aux hommes. Dans un monde plus vieux et plus achevé que le nôtre, ils se déplacent dans leur forme achevée. La nature leur a fait don d’un prolongement des sens que nous avons perdu ou jamais atteint. Ils entendent des voix que nous n’entendrons jamais. Ils ne sont ni nos frères, ni nos subalternes. Ils constituent d’autres mondes pris avec le nôtre dans le filet de la vie et du temps, prisonniers de la splendeur et des tourments de la Terre.

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22 mars 2009