fatal glaçon

Consigne 46 d’Écriture Ludique : Début sans fin mais avec 15 mots « imposés » et illustré

Votre texte devra commencer par : « C’est un glaçon… » , comporter au minimum 10 des 15 mots suivants : angora – ordinateur – chanter – pousser – allumette – jeune – piscine – sept – rouge – courir – peindre – dépayser – salon – épisodique – linge et être illustré si possible  (avec une photo, un dessin, un tableau, une photo, une abstraction…)

 

« C’est un glaçon, ça, non ? »

Berthe est assise à côté de moi sur la berge.

Je l’aime bien, Berthe.
Elle est douce et tranquille. Un peu trop parfois. Parfois, j’aimerais bien qu’elle s’active un peu plus, à son boulot par exemple ; ou avec son chat Angora (quel nom idiot pour un chat tout pelé, les yeux de la tête que ça nous a coûté en plus !), ouais, donc Angora le chat qui fait caca partout ; ou qu’elle aille se bouger un peu dans son potager, tiens, dont elle veut s’occuper toute seule et qu’elle y fout jamais les pieds  –  je vous raconte pas les radis de 20 cm, la dernière fois, comment ils nous ont arraché le palais ! Et je reste poli.

Elle est discrète, aussi.
Non, en fait, c’est pas ça. En fait, c’est qu’elle s’exprime peu, mais assez … comment dire … clairement. Surtout quand elle a froid, ou faim, ou trop chaud, ou mal à la tête. « J’ai mal au cœur ». « Y’a trop de bruit, ici. » . Oh la la, t’as vu, j’ai un cheveu blanc ! »… Et je vous parle pas des kilos pris, des kilos perdus, des kilos repris… C’en est touchant, ce besoin d’être rassurée, réconfortée, soignée. Elle est comme ça depuis toute jeune.
Depuis que je la connais.

Oui, je l’aime bien.

« Non, mais, Lucas, c’est un glaçon, là, non ? … T’as vu c’truc !!? »
Je grogne vaguement. En général, c’est suffisant.

Elle est jolie, aussi, Berthe.
Elle a de longs cheveux blonds et de grands yeux verts. Bon, à part cette tache rouge en forme de cœur sur la jour droite, elle est parfaite. Dodue comme il faut. Pas trop grande, prometteuse. Non, c’est bien.

« Je vais le peindre, demain… C’est trop bizarre, et puis c’est beau. »
Ah, oui, elle peint, c’est vrai. Je ne vois pas bien ce qu’elle va faire de ce glaçon et de ses habituels petits cœurs roses et chatons enrubannés qui me donnent souvent la nausée. M’enfin, ça l’occupera.

Berthe est assez drôle. Tout du moins, il lui arrive de me faire rire. Je ne sais trop de quel rire, à dire vrai. Elle se ridiculise souvent, et parfois c’est en société, et là, disons que je me ridiculise par la même occasion.

« Nan mais, Lucas, regarde ce machin ! … Tu crois que ça y’est ? »
« Que ça y’est quoi ? »
« Ben, ça y’est, le Pôle Nord, il fond ? »
Et voilà ! Je pouffe. Sereinement et en toute liberté, puisque nous sommes seuls sur la berge.
« Mais non… »

Oui. Je l’aime bien.

Sa peau est bien blanche, vraiment laiteuse, on a envie de toucher, de manger, de suçoter. Dieu sait comme je connais la texture de cette peau, en douze ans de mariage.
Berthe est mon épouse.

Sur la berge, nous digérons paisiblement le pique-nique du Dimanche. L’inévitable pique-nique du Dimanche, censé nous dépayser, et son incontournable salade « Sept-Sept » (un concept imaginé lorsqu’elle a compris le principe du quatre-quarts) avec ses sept tomates cerise, ses sept grains de maïs, ses sept œufs de caille, le reste en fonction des saisons et de ses envies  –  pas des miennes, mais bon  –  , 7 grammes de ceci, 7 cuillers de cela. En plus, elle est toute fière, parce qu’on ne la mange que le Dimanche, « le septième jour du Seigneur ».
Berthe croit en Dieu.
Pourquoi pas. J’ai mes raisons à moi pour pas la suivre sur cette voie. Et comme elle est tolérante… Enfin, elle s’en fout, en fait.

Bon, Berthe voue également un culte irraisonné à la télévision.
Hier soir on a regardé … la télévision. Bingo. Comme tous les soirs. Un film avec Schwarzennegger. Ah non, pas du tout, c’était Brad Pitt. On s’en fout, hein, mais j’ai quand même une question : Johnny Depp, au hasard, a-t-il une femme qui mâche bruyamment son chewing-gum à longueur de journée ?!! Parce que là, malgré le passage d’une troupe de Scouts surexcités d’aller faire un feu et pisser contre un arbre, je perçois sans mal ce bruit salivé, la molle succion, le « flappi » des bulles ratées, le raclement des dents sur les lèvres pour récupérer toute cette pâte collée… beurk, beurk, beurk.

« Mais, Lucas, il doit bien venir de quelque part, ce gros glaçon… »
« Pfff… Ben cherche une raison ! »
Ouh la … Là, j’en demande trop. Elle a même arrêté de mâchouiller. Tout à coup, je savoure le clapotis de l’eau sur la berge, une pie qui jacasse, une lointaine tondeuse.

C’est vrai qu’il est gros ce « glaçon », maintenant que je le regarde vraiment, et qu’il s’est rapproché de nous. Au moins un mètre sur deux ou trois, sur encore deux ou trois, je présume. Drôle de vision, tout de même. Où fabrique-t-on des gros machins pareils ? Et pour quoi faire ? Tiens, c’est vrai ça… Peut-être s’est-il échappé d’une centrale nucléaire où il devait faire baisser la température du réacteur… Beuh, je sais même pas comment ça marche, une usine atomique… Mais, bon…. Attends voir… c’est de la glace, ou c’est du verre ?

« Ben j’pense qu’ils ont commencé à enrayer le réchauffement climatique. On n’a pas regardé les infos hier soir, peut-être ils en ont parlé… »
« De quoi !!? Non, mais … n’importe quoi, de quoi tu parles ? »
« Ben quoi… »
Berthe  –  ma femme, mon épouse, ma vie  –  me fixe les yeux grands ouverts, clignotants, la bouche aussi  –  grande ouverte et m’offrant la vue d’un étron de plastique verdâtre.
« Ben quoi… », je l’imite très bien, « ça, c’était un dessin animé dans le film de Gore, un truc pour montrer que justement, y’a pas de solution miracle ! Faudrait être con pour penser que des glaçons …   Fabriqués comment, d’abord, les glaçons, hein ! J’te l’demande ! »
« Mais … on n’a jamais regardé de film gore, tu sais bien que je déteste ça ! »
« De qu… ! Mais je te parle du film d’Al Gore ! …C’est pas vrai ! … Bon, ben, le dessin animé, là, dont tu parles, c’était du dixième degré au moins ! »
Elle me fixe toujours, assez bêtement, il faut dire. Elle déglutit, cligne des yeux.
« Ah non, j’pense pas. Maximum cinq. »
Là, c’est moi qui reste bête. De quoi qu’elle cause ?
« Lucas, t’as la mémoire qui flanche. Ils disaient dans le film que la température monterait de quelques degrés, peut-être. Pas 10 en tout cas ! »
Nom de nom, je vais la pousser dans l’eau ! Je vais l’arroser d’essence et craquer l’allumette. Je vais la secouer et lui remettre tout le linge dans l’ordre, plié et repassé, que ça va pas faire un pli ! ! Je vais … C’est pas possible !
« Putain, Berthe, c’était de l’humour. Un truc pour dédramatiser… Un truc pour que… Fallait que les … Comment faire …Putain, Berthe ! »
Je bégaye, là, je m’énerve. C’est pas bon du tout. Pas bon du tout. La dernière fois, je me suis ouvert le thorax sur le coin du buffet du salon, dix jours d’hosto, dix points de suture. Et la fois d’avant, je suis tombé dans la piscine des voisins, trois jours de réa  –  hum, ouais, je sais pas nager…
Je me lève.
« Hum… Je vais aller courir, là. Je digère pas bien. »
« Ah, c’est bizarre, d’habitude tu digères bien le Sept-Sept. »
« D’HABITUDE, Y’A PAS UN GLACON GEANT QUI FLOTTE A CINQ METRES ET QUI T’FAIT DIRE UN CHAPELET DE CONNERIES AUSSI LONG QU’UNE MESSE EN LATIN ! »

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Merde, elle est trop con, c’est pas possible. On n’a pas fait de gosses, quel bonne idée ! Non mais, qu’est-ce que j’avais fumé quand je l’ai embrassée ? Qu’est-ce que j’ai ingurgité depuis douze ans ?!! C’est dingue … Bon, y’a pas de bourreau sans victime… Pourquoi ch’uis encore là ? Et c’est quoi ce gros glaçon sur le fleuve !

Bon, allez, j’ai assez couru, j’y retourne.
Berthe est toujours là, à contempler le glaçon qui n’a guère bougé et semble avoir fondu. Elle chante un petit air ancien, faux, comme d’habitude.
« Je crois qu’il fond. »
« Oui, Berthe, il fond. Si c’est un glaçon, il fond, vu qu’il fait pas zéro dehors. Le fleuve est l’apéro dominical du Bon Dieu où fond un bon gros glaçon tout frais… »
« T’arrêtes de t’foutre du Bon Dieu, et pi d’ma gueule ! T’arrêtes tout d’suite ou j’t’étripe ! ».

Seigneur, elle a le grand couteau à pain à la main. Moi, j’ai juste ma boîte d’allumettes.
Et elle est excellente au tir à l’arc … et aux fléchettes, maintenant que j’y pense.
C’est quoi, cet éclair ?
Humpf… Je me sens tout drôle…

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« Croyez-moi, je l’aimais bien, Lucas. Bon, c’est vrai, c’était de plus en plus épistolique … »
« Episodique vous voulez dire… »
« Non, épisodique, ça a un rapport avec le blé, non ? … Ah bon. Bon, c’était de plus en plus épisodique parce que fallait voir, plus ça allait, plus il se grattait la tête, les dessous de bras, et puis … voyez … et le devant des jambes, aussi, ça, c’est sûr ! Son idée de l’intimité  et de la complicité, c’était roter et flatuler en toute liberté. Oui, moi aussi je connais des jolis mots… Et ça se décrottait le nez… Et ça se mettait toujours à la même place dans le canapé… Et ça squattait l’ordinateur pendant des heures, sous prétexte que j’y comprenais rien. Il m’a jamais rien montré ou expliqué, ce plouc ! Et les slips kangourou… pardon, Monsieur le Commissaire… Oui, j’aurais pu divorcer… Mais ce glaçon géant, ça m’a mis la tête à l’envers… Je vais prendre perpète, non ? »
« Eh bien, Madame Duveau, sachez que votre mari n’est pas mort. Enfin, pas tout à fait, il est en mort cérébrale. En tout cas, cet « accident » sera vu comme de la légitime défense, sans compter que vous avez des circonstances atténuantes. »
« Des circonstances à quoi ? »
« Euh… la situation vous excuse particulièrement… Vous n’ignorez pas maintenant qu’en effet, tous les états de la planète ont mis en œuvre ce programme climatique préventif .. Oui, les fameux glaçons… La loi martiale a été déclarée le 14 Juillet 2008 à 1 heure du matin, le jour de « l’accident », décrétant notamment que tout acte visant à déstabiliser les actions gouvernementales devait être entravé par tous les moyens possibles, et par qui que ce soit, militaire ou civil. Votre mari s’apprêtait à incendier la forêt où vous vous trouviez… Dont acte… »
« Euh, c’est pas tout à fait ça… »
« Tttt … Madame Duveau, les faits parlent pour vous. Ne soyez pas modeste. »
« Mais je vais être jugée, non ? »
« J’en doute. Il se pourrait même qu’on vous intègre dans un groupe de vigilance, étant donné vos talents au tir, et votre promptitude à réagir. »
« Ah … ben… et qu’est-ce qui va lui arriver, à Lucas ? »
« En vertu des nouvelles dispositions de protection et sauvegarde de l’environnement, air, eaux, flore et faune, il est fort probable qu’il soit démembré et jeté aux loups du Vercors. Ce genre de disposition nous permet par ailleurs de sauvegarder notre cheptel ovin. »
« Je comprends pas tout. »
« Votre mari sera recyclé. »

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Juillet 2008

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court-métrage de Matt Groening, extrait de « Une vérité qui dérange »

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20 juillet 2008

 

dimanche

Il est 6h30 …

Quand je vous disais que, désormais, le blog se ferait à la fraîche…

Sauf qu’il ne fait pas frais du tout. Du tout, du tout.

Il fait lourd et moite; le ciel est gris et fondu; le vent n’est pas là, collé au fond du palais d’Eole.

L’orage menace vaguement, très très loin d’ici.
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J’aimerais que le vent se lève, que le ciel se crève, que l’orage cesse de faire grève.
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Viens donc par là, petit orage; viens donc remplir mon bassin de nage de tes larmes de rage!
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Allez, Eole, crache donc un peu quelques bourrasques affolées pour nous faire danser!
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Aaah … ma prière virtuelle semble se faire entendre. Une minuscule brise tente de faire baisser la température.

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20 juillet 2008