Essonne. Avril 1990.
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Le monde est différent. Moi je le sais. Je suis avec vous, mais je ne fais pas partie de vous. Impossible. Inconcevable. Je suis différente. Peut-être suis-je une extra-terrestre abandonnée, exilée sur cette planète. Peut-être mes parents ne sont-ils pas vraiment mes parents. Peut-être suis-je la réincarnation d’une personne qui n’avait pas fini de vivre. Peut-être suis-je un être exceptionnel mais méconnu, même de moi-même, embarrassé par cette enveloppe physique, ce corps qui me coince, m’immobilise. Vos regards me pèsent, mais qu’importe après tout, car de vous à moi, il y a plusieurs années-lumière. Moi j’ai des flots d’amour à donner. A vous donner. Mais me voyez-vous seulement ? M’écoutez-vous ou ne faites-vous que m’entendre ? La « nuance » est grande. Oui, de vous à moi, il y a des millions d’années-lumière qui se comptent en amour. Une route immense, pleine et chaude, qui nous sépare. Elle palpite au soleil, parfois violemment, parfois doucement.
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J’ai des yeux, j’ai des oreilles. Un nez. Une bouche. J’ai deux seins et deux mains. J’ai un ventre. J’ai un corps, un seul. J’ai un corps seul. Il bouge au rythme de plusieurs musiques ; celle que vous faites ; celle que me chantent les oiseaux, les arbres, le ciel ; celle de la ville qui vrombit à mes oreilles ; celle que je m’invente…puisque vous ne m’offrez rien.
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Ou bien je ne sais pas prendre. Peut-être ai-je des scrupules à prendre. Oui, peut-être.
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Le monde est différent. Moi je le sais. Je suis avec vous mais je ne fais pas partie de vous. Monade, et peu nomade. Et toi, fais-tu partie d’eux ? En tout cas tu ne fais pas partie de moi. Ou plutôt tu fais partie de moi sans l’avoir voulu et sans le savoir. D’ailleurs je ne sais même pas qui tu es, et je te hais parce que toi, tu ne sais pas qui je suis. Et quelqu’un devrait le savoir ! J’étouffe ! Quelqu’un pour me partager…
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Je fume une cigarette. Oui, je fume. J.F. 25 a. bien ss ts rapports ch. J.H. peu importe, aimant la musique, le cinéma et l’arrivée du printemps. Mensurations 98 – 65 – 90. Ça vous épate, hein ? Pas moi. Moi, ça m’empâte.
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Le monde est différent, moi je le sais. Ce soir vous regardez la télé, vous dormez ou peut-être vous faites l’amour. Vous discutez, vous buvez un coup en mangeant des nouilles. Bref. Moi j’ai allumé un feu. Car il fait froid et sombre. Et je n’aime pas le noir, un point commun avec vous. J’ai tué mon piano il y a six ans. J’ai tué le cinéma il y a peu. J’ai tué mes rêves aussi. Tout récemment. Et j’ai arrêté le sport, comme si je voulais tuer mon corps. Pourtant je ne veux pas mourir. Alors j’attends. En vous emmerdant, en vous crachant dessus certaines fois, en vous tendant la main d’autres fois. Certains parmi vous la prennent. Mais ma main doit être trop froide. Car je suis malade.
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Chut. Les étoiles me parlent ce soir. Je les entends malgré les bruits qui viennent de l’autoroute. La Lune s’est levée pour moi et ça, jamais elle ne le fera pour vous. Je le sais. Comme je sais qu’un volcan gronde certainement quelque part sur cette planète souillée. Il crache son feu, sa lave, car il étouffe, comme moi. Il est mon frère, le seul être qui me comprend peut-être, ou bien est-ce moi qui le comprends ? Peu importe. Quelque chose nous a liés du jour où nous fûmes présentés à l’école primaire. Je sais aussi que quelque part, un loup trotte dans la neige. J’aime cette image.
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Oui, je dois être une extra-terrestre. Ou je suis folle. Ou il y a quelque chose que je n’ai pas compris. En tout cas, je suis seule. Et le monde est différent. Oubliez-moi. Ne m’oubliez pas.
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Visage d’ivoire creusé de deux trous noirs, ronds comme des billes de plomb.
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1er août 2008