la bohémienne endormie, Henri Rousseau, 1897
En mes bulles inconscientes, je fais le ménage à l’aide de chauve-souris et vois passer, médusée, des gazelles affolées poursuivies par des lionnes au galop souple et puissant tandis que passe au loin un cortège de grands Africains – très grands, dans les quinze mètres – transportant un brancard vide. De l’autre côté de la route, dans un bosquet aux grandes feuilles exotiques, se cache une vache sacrée dont les naseaux forment une soucoupe en corne. La poussière légère jaunit l’atmosphère d’une lumière crépusculaire et je tiens la main de mon petit frère.
En ses bulles étonnantes, elle se dispute avec sa mère dans la minuscule boutique d’un hôtel de montagne à propos de la taille du soutien-gorge qu’elle devrait acheter. La femme de Claude François est là aussi, avec ses deux garçonnets blondinets. Plus tard au cours du dîner dans le restaurant de l’hôtel, une agitation ricoche en arrière-plan et l’ambiance devient bleue, très bleue … du sang se met à goutter du plafond.
En ses bulles abandonnées, il plante un crayon de couleur dans un petit pot empli de terre qu’il arrose chaque jour; il guette impatiemment la naissance d’un bourgeon puis la venue d’une fleur de la même couleur.
En sa bulle parfois si réelle, la voilà coincée sur le trottoir en bas de chez elle alors qu’un flot ininterrompu de voitures l’empêchent de traverser. C’est que le premier championnat international de joueurs de billes vient de s’achever dans sa petite ville. Au petit jour, elle sourit, elle la célibataire qui se demande bien quand (si) elle aura un enfant.
En leurs bulles endormies, un nuage se déchire au passage d’une bombe nucléaire, les maisons sont à ciel ouvert, les jardins ressemblent au petit cimetière derrière une église anglaise, ils marchent au bord d’un paysage accidenté et lunaire quand soudain l’eau emplit les canyons desséchés, elle nage avec un dauphin qu’elle connaissait petite, il impulse ses reins sans effort et vogue au-dessus des villes nimbées d’or, elle casse la gueule à sa meilleure amie, il ouvre un vieux portail rouillé, une araignée a de grands yeux doux et satinés…
En nos bulles nocturnes, nous retraçons nos vérités; celles que nous avons cachées dans nos mensonges éveillés … celles que nous avons perdues pour quelques faveurs superflues … celles que nous avons oubliées dans notre course vers l’éternité … celles dont nous avons fait des nœuds durs pour nous tisser une armure …
*
2 Octobre 2008