*
30 octobre 2008
On m’a ouvert le corps, arraché le cœur. On est rentré dans ma gorge et on l’a broyée. J’ai pleuré longtemps et je pleure encore. Face à la mort, mon eau, l’élément de vie, est intarissable. Je ne comprends pas. Je ne comprends plus. Je ne sais rien. Je ne suis plus.
On a frappé mes joues, battu mon ventre, j’ai cent douleurs dans le dos et les jambes. Je regarde mes mains, mes bras, mes pieds, je ne les reconnais pas toujours. On a transpercé ma poitrine, pour toujours. Je respire encore, je ne sais ni comment, ni pourquoi. Je marche encore, je ne sais ni comment, ni où.
On m’a crevé les yeux, cousu la bouche, brûlé les seins. Je ne sens rien, je ne désire rien, même pas la mort, finalement.
Il y a du ciel bleu dans la fenêtre, des fleurs jaunes, oranges et rouges au balcon, le saule en face est vert tendre. Et puis ? Hier le vent soufflait, aujourd’hui il fait chaud, demain il pleuvra. Et puis ? Hier tu m’embrassais dans le creux du cou, aujourd’hui je cherche ton odeur, demain j’aurai rangé les images de toi. Et puis ? Je sais toujours écrire mon nom, calculer mon âge, raconter mon histoire.
Je vois les gens, tous, ceux qui me sourient, ceux qui ne me regardent pas. Je me dis que tous connaissent l’absence. Ca me rassure un peu. Mais ils ne connaissent pas ton absence. Je ne sais rien de leur douleur. Ils ne savent rien de la mienne. C’est ainsi. C’est plus fort que tout. C’est peut-être plus fort que toi. J’ai encore un peu de mal à y croire.
Je dors d’un sommeil sans songes, et dès que j’ouvre les yeux je rêve. De toi, d’avant, de moi bientôt. Le monde est une bulle vide que je veux crever puis remplir. Je construirai une maison blanche, j’y mettrai un olivier et un figuier ; j’apprendrai à faire le pain et je remplirai ma cave de vin ; ceux qui me sont précieux s’installeront autour de la table certains soirs. C’est ainsi. C’est plus fort que tout. C’est sûrement plus fort que toi.
J’ai beau faire, à entretenir le vide que tu laisses, à chérir presque les coups mortels que tu m’as portés – puisque je te chéris encore, à psalmodier ton nom malgré moi, mon cœur bat toujours, ma moelle fabrique du sang, des cheveux meurent et d’autres naissent. Ma peau blafarde avale goulûment la lumière du soleil naissant. Nous sommes au printemps. Et quand il pleut sur moi, je finis bien par sécher. C’est ainsi. C’est plus fort que tout. C’est déjà plus fort que toi.
*
Mars / Avril 2002
*
*
*
30 octobre 2008