Il attendait, assis sur un siège de plastique bleu, dans la station du Pont de l’Alma, sa silhouette un peu fatiguée, comme tirée vers le sol par les lourds bagages déposés à ses pieds ; silhouette sombre dans l’éclairage artificiel et défectueux, se découpant sur les murs orange aux ondulations carrelées, rigides.
C’était un Dimanche matin d’été, il faisait lourd et gris dehors, il faisait sombre et chaud sous terre, il devait être onze heures. Il attendait « YETI », le train qui le ramènerait chez lui, quelque part un peu au-delà de la banlieue sud de la capitale, presque en rase campagne ; dans sa maison au bord d’un lac pas très propre, entourée de six cent quatre-vingt-dix-neuf autres maisons identiques, certaines plus grandes, d’autres avec un jardin plus petit ; là, dans le salon lumineux et blanc régulièrement redécoré par Julie et dont un des murs était mitoyen avec le garage – atelier du voisin ; là, dans son vaste bureau sous les combles qui lui servait parfois … de plus en plus souvent, de chambre, d’où il ne pouvait voir que le ciel et les feux d’artifice de Juillet et n’entendre que vaguement les conversations des voisins dans leurs jardins, les clameurs d’un petit public local en délire lors d’un match de foot, là, derrière le rideau de peupliers, certains Dimanches.
Dimanche, il ne connaissait pas les horaires de trains et était arrivé avec cinquante minutes d’avance. Il soupira, prit une cigarette. Il avait chaud, mal à l’épaule. Il se voyait allongé dans le jardin, se détendant enfin, abeilles et papillons … Julie serait-elle là ?
Il fumait encore quand une jeune femme noire franchit le tourniquet du quai opposé, un petit sac de voyage à la main et suivie d’une fillette noire, quatre ou cinq ans, serrant une poupée contre elle. La jeune femme fit quelques pas, plissa les yeux pour découvrir la destination du train affiché. Il jeta un coup d’œil. C’était un « SLIM ». Puis il regarda à nouveau les étranges … demoiselles ? La femme portait une robe blanche assez longue, apparemment soyeuse, garnie de dentelle au col et aux manches, brodée de fleurs d’un blanc plus brillant. Dans ses cheveux tirés en un strict chignon, de petites fleurs blanches fraîches, ou artificielles. La fillette portait une robe légère à fleurs roses et jaunes, très jolie, également garnie de dentelles.
Elles étaient belles. Très belles.
La jeune femme semblait un peu inquiète au sujet des trains, de l’heure, mais rien dans leur attitude ne semblait confirmer l’idée folle qui venait de lui traverser l’esprit.
Une mariée en fuite … avec sa fille … qu’elle a eue d’un autre homme …
Il secoua la tête.
La femme et la fillette s’installèrent sur les sièges bleus, exactement face à lui, de l’autre côté des rails. La fillette balançait ses jambes, la femme avait légèrement écarté les siennes et posé ses coudes sur les genoux. Le sac à terre, entre elles.
Mais d’où venaient-elles ? Où allaient-elles ? Que quittaient-elles pour aller vers quoi ? Qui quittaient-elles pour rejoindre qui ? Et qu’y avait-il dans ce sac trop grand pour être un sac à main, trop petit pour un voyage ?
Demoiselle d’honneur en retard ? La robe est quand même très belle ! C’est une robe de mariée, ça !
Et puis c’est Dimanche … On se marie un Dimanche ?
Bon, ben elle a fêté son mariage toute la nuit, mais elle bosse le Dimanche, pas le temps de se changer. Oui mais non, la robe est vraiment impeccable. Et puis la fillette … Elle l’emmène au boulot ?
Cent questions, mille histoires tournoyaient dans sa tête embrumée par la chaleur. Il ne les quittait pas des yeux. Été. Matin. Dimanche. Quai désert. Un sac. Une mariée. Une fillette. Une poupée. Un train. Peut-être.
La femme semblait chanter, ni gaie, ni triste. La fillette parlait à sa poupée. Parfois leurs regards se croisaient. Et lui mourait d’envie d’en savoir plus. Il échafaudait toutes sortes d’hypothèses qui les auraient amenées ici et maintenant, d’autres sur ce qu’elles allaient faire ensuite.
La femme avait remarqué son regard.
Yeti s’afficha. La femme le regarda et il ne sut que lire sur son visage impassible. Il se pencha brusquement sur son sac de voyages plein à craquer, crut sentir l’espace d’une seconde le parfum de Céline. Il tira sur la fermeture, fouilla un moment, fébrile. Il s’arrêta, un instant, hésitant.
Puis il se redressa, arma l’appareil, le porta devant ses yeux, attendit et appuya. Le flash éblouit la station le temps d’un rien du tout. Il vit la fillette intriguée regarder les néons, ceux qui fonctionnaient encore. Il ne revit pas la femme, le train était maintenant arrêté, il y montait, en deuxième classe, fumeurs, et il s’assit près des fenêtres, du côté de son quai, du côté où il sortirait en arrivant chez lui.
novembre 1989 – janvier 2009
*
11 janvier 2009
8 commentaires
Juste s’asseoir et regarder passer la foule.
Que de vie(s) ! Toute unique et pourtant.
Les attitudes, les gestes, les interactions, les réactions Tout est opaquement lisible.
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mariev répond:
janvier 11th, 2009 à21 h 22 min
Oui, ça en fait, des millions d’histoires … 😉
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vie(s) + toute unique
Cela crée une nuance, une ambiguîté qui m’a échappée en écrivant. :p
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mariev répond:
janvier 11th, 2009 à21 h 23 min
Ben, c’est bizarre … je n’ai pas saisi …
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Est-ce que ce texte a une suite? Il m’intrigue…
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mariev répond:
janvier 11th, 2009 à21 h 24 min
Non, justement, c’est tout le sel de ces « rencontres » fugaces qui nous interpellent et nous laissent sans réponses … on voudrait bien savoir, hein ?
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Je me souviens, tu m’avais raconté cette histoire de mariée dans le métro
Tu l’as bien joliment contée ici
On aurait envie d’en savoir +! On se surprend à chuchoter au monsieur « bah vas-y, demande-lui carrément! » Le nombre de fois où j’ai hésité à carrément parler à quelqu’un pour lever un doute…
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mariev répond:
janvier 11th, 2009 à21 h 29 min
Je l’ai beaucoup remaniée, mais l’esprit y est toujours, cette question brûlante, justement …
Il faudrait, au moins une fois, oser poser la question … juste pour voir …
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Emportant avec lui le souvenir des questions sans réponses, propices aux histoires à raconter.
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mariev répond:
janvier 11th, 2009 à21 h 29 min
eh oui, voilà … 😉
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ha oui, ces questions qui n’auront jamais de réponse
c’est de cette manière qu’est née ma nouvelle Au bord de l’Oise, une jeune femme, son bébé, et trois jeunes hommes, qui marchaient tour à tour avec elles au bord de l’Oise
je les avais croisés, un soir, étonné, sans réponse …
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mariev répond:
janvier 12th, 2009 à21 h 39 min
Toi, tu as le talent d’imaginer une histoire qui leur colle bien, à ces inconnus croisés ainsi, en fulgurance !
« Au bord de l’Oise » est une réussite, un texte auquel je pense souvent …
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une parenthèse dans deux existences, l’une mal vécue, l’autre rêvée. Et des questions qui resteront à jamais sans réponse… ou peut-être pas. Beau texte.
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mariev répond:
janvier 13th, 2009 à20 h 05 min
Merci !
Ravie de découvrir tes propres mots
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Mmm, j’adore cet instantanné de deux vies… J’aime rester dans le flou, ne pas avoir la réponse, juste se laisser flotter et essayer de deviner… toutes ces possibilités… ça nous laisse dans un moment de flottement, de fascination pour toutes ces histoires que nous ne connaissons pas…
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mariev répond:
janvier 15th, 2009 à22 h 24 min
😉
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