une absence

On m’a ouvert le corps, arraché le cœur. On est rentré dans ma gorge et on l’a broyée. J’ai pleuré longtemps et je pleure encore. Face à la mort, mon eau, l’élément de vie, est intarissable. Je ne comprends pas. Je ne comprends plus. Je ne sais rien. Je ne suis plus.

On a frappé mes joues, battu mon ventre, j’ai cent douleurs dans le dos et les jambes. Je regarde mes mains, mes bras, mes pieds, je ne les reconnais pas toujours. On a transpercé ma poitrine, pour toujours. Je respire encore, je ne sais ni comment, ni pourquoi. Je marche encore, je ne sais ni comment, ni où.

On m’a crevé les yeux, cousu la bouche, brûlé les seins. Je ne sens rien, je ne désire rien, même pas la mort, finalement.

Il y a du ciel bleu dans la fenêtre, des fleurs jaunes, oranges et rouges au balcon, le saule en face est vert tendre. Et puis ? Hier le vent soufflait, aujourd’hui il fait chaud, demain il pleuvra. Et puis ? Hier tu m’embrassais dans le creux du cou, aujourd’hui je cherche ton odeur, demain j’aurai rangé les images de toi. Et puis ? Je sais toujours écrire mon nom, calculer mon âge, raconter mon histoire.

Je vois les gens, tous, ceux qui me sourient, ceux qui ne me regardent pas. Je me dis que tous connaissent l’absence. Ca me rassure un peu. Mais ils ne connaissent pas ton absence. Je ne sais rien de leur douleur. Ils ne savent rien de la mienne. C’est ainsi. C’est plus fort que tout. C’est peut-être plus fort que toi. J’ai encore un peu de mal à y croire.

Je dors d’un sommeil sans songes, et dès que j’ouvre les yeux je rêve. De toi, d’avant, de moi bientôt. Le monde est une bulle vide que je veux crever puis remplir. Je construirai une maison blanche, j’y mettrai un olivier et un figuier ; j’apprendrai à faire le pain et je remplirai ma cave de vin ; ceux qui me sont précieux s’installeront autour de la table certains soirs. C’est ainsi. C’est plus fort que tout. C’est sûrement plus fort que toi.

J’ai beau faire, à entretenir le vide que tu laisses, à chérir presque les coups mortels que tu m’as portés – puisque je te chéris encore, à psalmodier ton nom malgré moi, mon cœur bat toujours, ma moelle fabrique du sang, des cheveux meurent et d’autres naissent. Ma peau blafarde avale goulûment la lumière du soleil naissant. Nous sommes au printemps. Et quand il pleut sur moi, je finis bien par sécher. C’est ainsi. C’est plus fort que tout. C’est déjà plus fort que toi.

*

Mars / Avril 2002

*

*

*

30 octobre 2008

11 commentaires

  1. Posté le 30 octobre 2008 à 6 h 54 min | Permalink

    (commentaire du 29 juin 2008 lors de la première publication)

    Bouleversant.

    répondre

    mariev répond:

    merci … 😉

    répondre

  2. Posté le 30 octobre 2008 à 6 h 55 min | Permalink

    (commentaire du 1er juillet 2008 lors de la première publication)

    des mots bouleversants, en effet pour parler d’un amour qui part.

    répondre

    mariev répond:

    le plus curieux, c’est que j’ai écrit ce texte pour une autre personne …
    mais ce fut bien mon propre ressenti quelques années plus tard
    merci

    répondre

  3. Posté le 30 octobre 2008 à 7 h 06 min | Permalink

    C’est très fort et très douloureux cette description de la souffrance universelle, celle de la perte de celui/celle qu’on aime.

    répondre

    mariev répond:

    merci Pandora :)

    répondre

  4. Posté le 30 octobre 2008 à 7 h 26 min | Permalink

    j’aime bcp ce texte des mots fort cassants,sensibles a la fois…
    Triste ecrits,qui reflete bien la douleur,la perte de l’autre dans le sentiment.
    Juste moi….

    répondre

    mariev répond:

    parce que la douleur n’est jamais lisse

    répondre

  5. Posté le 30 octobre 2008 à 8 h 01 min | Permalink

    La vie est un éternel recommencement …

    répondre

    mariev répond:

    c’est ça qui est incroyable, et beau …

    répondre

  6. Posté le 30 octobre 2008 à 8 h 37 min | Permalink

    absence, renaissance, résilience
    conscience des cycles de la nature

    j’aime beaucoup l’éclat lumineux de la maison blanche et de ses deux arbres
    je les vois construire, batir, peu à peu, pour renaître

    c’est un ode à l’espoir
    malheureusement, certain s’arrête avant de remarquer le ciel bleu de la fenêtre et reste ainsi, agonisant jusqu’à la fin.

    répondre

    mariev répond:

    oui, l’espoir que j’ai voulu insuffler à cette amie, alors …

    moi, j’ai le figuier maintenant … mais ce n’est pas moi qui l’ai planté, pas grave !

    répondre

  7. Posté le 30 octobre 2008 à 10 h 31 min | Permalink

    Je me souviens l’avoir déjà lu, et il m’avait déjà touchée à ce
    moment-là … Oui, la peur de la perte de l’autre, on l’a tous, au creux
    de nous, et elle finit inéluctablement par arriver. Mais on a plus de
    force qu’on ne le pense, et on finit par renaître, par revivre!

    répondre

    mariev répond:

    le manque fait peur … mais c’est quand même d’abord avec soi-même que l’on passe l’intégralité de son temps, et si l’on se perd soi-même, là … c’est la cata …
    et pourtant, oui, on finit par renaître !

    répondre

  8. Posté le 30 octobre 2008 à 13 h 20 min | Permalink

    Le texte est magnifique.

    I am very sorry for your loss.

    répondre

    mariev répond:

    merci beaucoup

    répondre

  9. Posté le 1 novembre 2008 à 8 h 12 min | Permalink

    parfois, je trouve que se sont les meilleurs ….
    Mais cela n’engage que moi.
    Une bise, simplement

    répondre

    mariev répond:

    euh … que ce sont les meilleurs qui s’en vont ?
    je ne comprends pas …

    répondre

  10. Posté le 3 novembre 2008 à 13 h 13 min | Permalink

    Ah … bon sang … rien de plus cruel que ce vide laissé, ce vide pourtant trop palpable …

    Magnifique texte Mariev, il faudrait que je récupère les morceaux de moi qu’il a pris …

    répondre

    mariev répond:

    ils sont là, n’aie crainte … je crois que c’est universel
    bises à toi

    répondre

  11. Posté le 6 novembre 2008 à 9 h 32 min | Permalink

    C’est magnifique!
    On le  comprend mieux, surtout lorsque l’on a perdu un être cher (un fils par exemple). Ainsi va la vie!

    répondre

    mariev répond:

    oh, je suis triste d’apprendre cela …
    merci de ton passage, Marie

    répondre

Ecrire un commentaire

Votre adresse ne sera jamais divulguée. Les champs requis sont marqués *

*
*
Question   Razz  Sad   Evil  Exclaim  Smile  Redface  Biggrin  Surprised  Eek   Confused   Cool  LOL   Mad   Twisted  Rolleyes   Wink  Idea  Arrow  Neutral  Cry   Mr. Green
One moment, please...
Loader
Please wait while your request is being verified...